L’Homme providentiel. Quand les français en appellent au sauveur

Lors de la campagne présidentielle, certaines interventions publiques d’Emmanuel Macron ont marqué les esprits par leur caractère singulier. A titre d’exemple, sa spectaculaire traversée solitaire de la cour du Louvre au soir de son élection illustre le pouvoir d’une mise en scène au caractère fortement symbolique. Si certains ont dénoncé le ridicule de ce genre d’apparitions aux accents christiques et quelques peu désuets, d’autres y ont vu la réapparition d’un mythe récurrent dans l’histoire politique française : celui de l’Homme providentiel.

L’Homme providentiel, qui est-il ?

L’Homme providentiel est défini par l’historien politique Jean Guarrigues comme « un personnage qui apparait dans les périodes de crises, et qui se présente comme le sauveur ultime chargé d’une sorte de mission historique ou divine, à savoir résoudre d’un coup de baguette magique tous les problèmes qui se posent à la société à un moment donné. » L’Homme providentiel incarne par essence l’espoir de rupture et de renouveau. Il surgit quand la suite de l’histoire semble compromise et que seule l’intervention d’un être spectaculaire permet d’entrevoir un futur apaisé.

Dans notre histoire, nombreuses sont les figures politiques qui ont endossé ce rôle de sauveur. Napoléon Bonaparte, grâce au caractère extraordinaire de sa personnalité et fort de ses exploits guerriers, incarne après les années noires qui suivent la révolution de 1789 cette figure providentielle. Plus tard, le Général Boulanger s’empare du rôle, alors que les années 1880 sont encore marquées par le souvenir de la défaite française contre l’Allemagne en 1871. Ministre de la guerre, il est l’archétype du sauveur et incarne l’image du héros populaire et militaire capable de redresser le pays. Il suscite rapidement la ferveur du peuple, rassemblant une coalition éclectique de mécontents allant de l’extrême gauche à la droite bonapartiste, tous avides de vengeance face à une Allemagne diabolisée. Plus tard encore, le général De Gaulle incarne un rôle similaire. Bien plus que ses prédécesseurs, il a conscience de l’importance et de la signification de ce rôle providentiel. La pratique Gaullienne du pouvoir va alors contribuer à renforcer la permanence du mythe de l’homme providentiel dans la vie politique française. En effet, De Gaulle a fondé son action politique sur la dialectique d’un peuple enfant et d’un Etat paternel. Selon lui, la France ne peut être grande que lorsqu’elle est unifiée autour d’un chef qui la guide vers son destin de grandeur. Dès lors, la constitution qu’il donne à la Vème République en 1958, ainsi que sa pratique du pouvoir jusqu’en 1969 contribuent à renforcer l’image d’un président fort. Selon Garrigues, si le mythe s’est perpétué, c’est en partie grâce à cette forte personnalisation des pouvoirs du Président.

Le paysage politique actuel, qui peine à mobiliser les français autour de personnalités politiques, laisse penser que les grandes figures providentielles appartiennent surtout au passé. Néanmoins, certains ont décelé dans la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron quelques traits de ce mythe, notamment dans la manière dont ce dernier s’est présenté à son électorat, lors de certains discours dans lesquels il semble se transcender (pensons au fameux « Parce que c’est notre projet ! ») ou encore lors de sa traversée solennelle du Louvre. Durant ces apparitions, « le commandement héroïque est à la fois spectacle du héros défiant les dieux et mobilisation de l’enthousiasme des spectateurs par la présentation de l’exploit héroïque comme entreprise nationale » selon l’historien Stanley Hoffmann, rappelant ainsi l’imagerie propre au mythe de l’Homme providentiel.

Comment expliquer cette spécificité française à en appeler au « sauveur » en temps de crise ?

« Élu », « sauveur », « providence » : les références au religieux sont nombreuses lorsque l’on évoque l’Homme providentiel. Cela peut sembler paradoxal : comment justifier la référence à une figure à laquelle sont attribuées des qualités quasi-divines dans un pays qui défend depuis des décennies la laïcité de ses institutions ? Selon Jean Guarrigues, la persistance de ce mythe aux accents religieux viendrait d’une sorte de nostalgie du monarque de droit divin. Lorsque la France était une monarchie, les rois tenaient leur légitimité du pouvoir céleste et étaient perçus comme de véritables descendants de Dieu. Le passage à des institutions républicaines et laïques aurait alors opéré le transfert de ces figures d’autorité divine, capables de guider un peuple vers sa grandeur, vers des hommes politiques forts, auxquels on attribue les mêmes qualités de sauveur. Le « culte » de ces hommes politiques hors norme viendrait donc d’une volonté de confier le destin national à une figure que l’on espère capable d’exploits, figure souvent fantasmée.

Cela nous amène alors à souligner l’importance de l’imaginaire collectif dans l’existence du mythe du « sauveur ». Dans les moments de tourmente nationale, les identités sont souvent en crise. Selon l’historien Raoul Girardet, le mythe devient alors nécessaire. En effet, la société réagit à des changements brutaux en recherchant une figure de stabilité, autour de laquelle il est possible de reconstruire une identité sociale pour le groupe. Bien souvent l’imaginaire collectif élève alors l’homme politique au rang de « sauveur », pour répondre à son angoisse identitaire. Ainsi, les émotions collectives, ici l’angoisse que créent les bouleversements sociaux, économiques ou politiques, permettent de comprendre le recours à l’imaginaire et la création de ce mythe du sauveur, dont les qualités sont bien souvent exagérées. La figure providentielle fait donc appel à l’imaginaire collectif et à la recherche d’une identité commune bien plus qu’au religieux en soi.

De la mise en scène du pouvoir au danger pour la démocratie :

On l’a vu, l’attraction provoquée par l’homme providentiel repose sur sa capacité à incarner les fantasmes collectifs. Cet appel à l’imaginaire collectif repose en partie sur l’usage de l’image et de la représentation. Des images d’Epinal à la gloire de Napoléon au déferlement de mises en scène dans la presse lors de l’épisode boulangiste, on peut dégager des constantes dans l’imagerie du sauveur.

Le constat que le spectacle fait partie intégrante de la construction des figures providentielles peut néanmoins soulever des interrogations quant au danger que représentent ces figures pour la démocratie. En effet, si on a souligné l’existence d’une « spécificité française » à en appeler à la figure du sauveur en temps de crises, on a également vu que le pouvoir d’attraction de ces hommes providentiels reposait en grande partie sur leur charisme et sur un bon usage de l’image et de la mise en scène. Mais alors, n’est-il pas dangereux d’en appeler systématiquement à une figure dont le pouvoir découle de sa capacité à mobiliser les citoyens en ayant recours aux émotions collectives, plutôt qu’à la raison ?

De manière générale, lorsqu’un homme politique a recours aux passions et à la manipulation dans la conquête du pouvoir, on le range dans la catégorie des démagogues. Or, il y a dans la démarche de l’Homme providentiel, notamment dans la présentation de ses caractéristiques quasi-divines qui viennent calmer les craintes du peuple en sortant du champ du rationnel, quelque chose qui renvoie fondamentalement à cette démagogie.

De même, en se prétendant capable de rompre avec une société dépassée pour en construire une nouvelle il y a dans les promesses de l’Homme providentiel quelque chose de propre au populisme : un « cri de révolte » qui dénonce la souffrance du peuple et s’en prend aux élites en place, incapable de surmonter la crise. Selon Guarrigues, le populisme est d’ailleurs inhérent à l’attraction du sauveur.

Il faudrait donc se méfier de ces aventuriers politiques qui entendent « sauver » la Nation car la limite entre volonté réelle d’incarner les espoirs collectifs et possibilité d’accéder au pouvoir en profitant de la confusion générale est souvent floue. La question est bien de savoir si les intentions du prétendu sauveur sont de se faire le représentant de la multitude, ou, au contraire, d’imposer sa vision et son projet pour le futur, profitant de son pouvoir d’attraction. Selon Guarrigues « La réalité est toujours à mi-chemin entre ces deux pulsions qui délimitent l’espace de la rencontre dialectique entre un homme et un peuple ».

Quand un homme se présente comme sauveur de la Nation et que ses émules lui concèdent ce rôle, la frontière entre populisme, démagogie et réelle volonté citoyenne devient floue et n’est jamais imperméable. Nombres d’hommes politiques, avant de devenir des dictateurs, n’étaient d’ailleurs que symbole d’espoir et de renouveau …

par Clémentine Bouleau

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