Alors que nous assistions, impuissants, à l’incendie ravageant la Cathédrale Notre-Dame-de-Paris en avril 2019, un débat abordé depuis longtemps par les spécialistes est revenu sur la scène politique : la question des modes de gestion du patrimoine culturel français, et notamment du patrimoine religieux.
Comment équilibrer les recettes générées par le tourisme culturel avec les coûts d’entretien de bâtiments parfois âgés de plusieurs siècles ?
Cet article revient sur le mode actuel de gestion du patrimoine français, et plus particulièrement du patrimoine religieux, ainsi que sur les innovations proposées par l’actuel gouvernement ainsi que par des professionnels et engagés dans ce secteur.
Retour sur la définition de patrimoine
Il convient de faire un petit point sur la définition de patrimoine, ainsi que sur la distinction entre propriétaires publics et propriétaires privés.
La notion de patrimoine culturel est définie par l’article L1 du code du patrimoine comme « l’ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique ». Pour ce qui est des édifices de cultes, le régime de soumission diffère selon la période d’édification du lieu de culte. Les biens du clergé qui, en 1789, ont été constitués « Biens de la Nation », sont propriétés de personnes publiques. La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 prescrivait le transfert des biens mobiliers et immobiliers religieux à des associations cultuelles constituées et a été complétée par la loi de 1908 préconisant la prise des droits de propriété des édifices cultuels par les communes s’ils ne sont ni restitués, ni revendiqué dans un délai légal. L’Eglise catholique ayant refusé la constitution d’associations cultuelles, les édifices religieux catholiques – représentant la quasi-totalité des édifices religieux en France – construits avant 1905 appartiennent donc à des personnes publiques. Le plus souvent, les cathédrales sont propriétés de l’Etat, tandis que les chapelles et les églises sont propriétés des communes (ce régime ne s’applique ni à l’Alsace-Moselle – sous le régime du Concordat – ni à la Guyane, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon). Les lieux de culte construits ou acquis après 1905 relèvent du régime de propriété privée pour les personnes privées, et du domaine privé pour les personnes publiques. Il revient aux propriétaires, publics ou privés, d’effectuer les travaux nécessaires à l’entretien et à la conservation de leur patrimoine culturel.
Par ailleurs, les éléments du patrimoine culturel – public ou privé – peuvent être « inscrits » ou « classés » comme « monuments historiques », ce qui leur assure une certaine protection légale. L’Etat peut financer les travaux d’entretien jusqu’à 25% – pour les monuments inscrits – ou 50% – pour les monuments classés. Environ 72% de ces monuments historiques sont des habitations (châteaux, manoirs, villas, …) ou des édifices religieux.
Le problème du financement de l’entretien et de la conservation du patrimoine culturel
Le patrimoine culturel peut bien évidemment être source de revenus importants pour les personnes publiques, soit directement – droits d’entrée, dons de particuliers, … – soit indirectement – création d’emplois, impôts directs ou indirects, taxes de séjour, … Il est donc important pour elles de valoriser au maximum leurs atouts. Malheureusement, c’est chose difficile pour certaines collectivités territoriales, pour qui les coûts surpassent parfois les produits.
En effet, la difficulté de financer l’entretien et la conservation du patrimoine culturel et des monuments historiques est de plus en plus soulevée. Pour les collectivités territoriales, qui détiennent environ 50% des monuments historiques, les fonds qu’elles doivent souvent se procurer par elles-mêmes, sont parfois difficiles à trouver. De plus, si les travaux sont à la charge des propriétaires privés de patrimoine, les fonds publics sont souvent sollicités. Les personnes publiques – en particulier les collectivités – ont du mal à s’en sortir, et sont même parfois tentées de vendre ou de détruire certains de leurs biens. Il en résulte que certains éléments du patrimoine se trouvent en situation de péril. La mission Stéphane Bern, créée en partenariat avec la Fondation du Patrimoine et confiée par Emmanuel Macron à Stéphane Bern en 2018, visant à récolter des fonds pour la sauvegarde du patrimoine, a recensé quelques 3500 signalements sur les 44 000 biens répertoriés comme monuments historiques. Parmi les projets jugés prioritaires, la grande majorité se trouvent dans des territoires ruraux ou sont gérés par de petites communes.
Le problème souvent mis en avant est que, dans des régions reculées ou en zone rurale, il peut être difficile d’attirer beaucoup de visiteurs. Si la France est le pays qui attire le plus de touristes, ils ne sont pas également répartis sur le territoire. Certains endroits comme Paris ou le sud de la France sont très prisés, quand d’autres sont délaissés.
Des prises d’initiatives par le gouvernement et les élus locaux
Avec environ 85% de la population vivant dans des communes de 10 000 habitants ou moins, le gouvernement actuel semble avoir conscience que le patrimoine français n’est pas uniquement constitué des biens des grandes métropoles, et propose donc des initiatives. Le projet de loi de finances pour 2018 présente une hausse des crédits pour les monuments historiques, ainsi que la création d’un fond d’aide à la rénovation de 15 millions d’euros pour les collectivités territoriales à faibles ressources. Le projet de loi de finance pour 2019 reste sur le budget moyen annuel alloué à la culture de 10 milliards d’euros – avec toutefois une augmentation de 17 millions d’euros. Par ailleurs, par le biais de la première édition du loto du patrimoine organisé par la Mission Stéphane Bern en partenariat avec la Française des Jeux en 2018, 22 millions d’euros avaient été récoltés pour la restauration de 269 monuments en péril. Le loto du patrimoine a été reconduit le 14 juillet 2019 et le sera en septembre 2019, lors des Journées Européennes du Patrimoine. En parallèle, on observe une volonté de démocratisation de la culture, notamment auprès des jeunes. Le Ministère de la Culture porte le projet du Pass Culture, une application gratuite qui relaie les activités culturelles et artistiques à proximité, et permet l’octroi sur demande d’une enveloppe de 500 euros aux jeunes de 18 ans à dépenser sur ce Pass – spectacles, visites, …
Des efforts encourageants, mais pour certains des réformes plus en profondeur sont nécessaires
Les initiatives du gouvernement sont louables mais seraient insuffisantes en terme de besoin financiers. Certains appellent à encourager les fonds privés pour sauver le patrimoine. La Mission Stéphane Bern en est un exemple. Par ailleurs des régimes juridiques comme le bail emphytéotique administratif, qui confie la jouissance par une personne publique – qui en reste propriétaire – d’un bien à une personne privée, pourraient stimuler les recettes liées au tourisme et permettrait donc de mieux amortir les coûts. Le château de Versailles, par exemple, devrait prochainement accueillir un hôtel ainsi qu’un restaurant gastronomique. D’autres comme Marie-Hélène Jouzeau, directrice du Musée du château des Ducs à Nantes, dénonce un système de gratuité croissante qui, en plus de limiter les recettes, serait peu efficace pour démocratiser l’accès à la culture. En effet, si le nombre de visiteurs d’un monument augmente, cela peut être davantage parce que les habitués s’y rendent plus souvent, que par un élargissement de son public. L’impact réel de la gratuité est difficile à évaluer.
Conclusion
La conservation du patrimoine français est un sujet complexe. Il est empreint de la vision européenne de la valeur d’un bien culturel souvent liée à son authenticité – contrairement à l’Asie de l’Est par exemple, où beaucoup de monuments japonais sont traditionnellement souvent reconstruits, et où la plupart des monuments chinois que l’on peut visiter aujourd’hui ont été intégralement reconstruits dans le courant du XXème siècle. Ce soucis d’authenticité peut faire de la rénovation une tâche délicate. Néanmoins, il existe des solutions pour sauver le patrimoine, et notamment le patrimoine des petites villes, de la ruine ou de la destruction. Prendre conscience de l’état actuel du patrimoine est un premier pas. Il nous reste à déterminer la suite du chemin.
Par Rose Mba Mébiame
References:
https://www.patrimoine-religieux.fr
Cariou André, Jouzeau Marie-Helene, Etes-vous pour ou contre la gratuité au musée ?, Ouest France, 26.09.2013
Zunz, Stephen, Sauver le patrimoine historique grâce au financement privé ?, Contrepoints, 16.04.2019