Le problème non résolu de la désertification

Desertification 1.Rose Mba Mebiame

Les alertes des scientifiques sur les dommages environnementaux sont de plus en plus fréquentes. Si l’on entend beaucoup parler – à raison – des modes de production d’énergie, de l’alimentation ou de la gestion des déchets, un phénomène tout aussi important se déroule sous nos yeux : la désertification. Et là aussi, nous parvient un méli-mélo de divergences au sein de la communauté scientifique et d’actions politiques parfois incohérentes, autour d’un terme dont la définition nous semble parfois imprécise. Que met-on derrière ce mot ? Quelles en sont les causes ? Quelles solutions – optimales ? – sont mises en place pour pallier les conséquences économiques, sociales et environnementales de ce processus de désertification ?

Déserts et désertification : quelques précisions

Les déserts sont caractérisés par une pluviométrie et une densité de la population très faibles. Des facteurs géologiques, climatiques et biologiques peuvent être à l’origine de leur formation, qui peut donc s’effectuer de façon naturelle. Le Sahara, par exemple, serait né il y a plusieurs millions d’années, et alternerait entre périodes de sécheresse et périodes de fertilité. Il existe des déserts chauds, des déserts tempérés et des déserts froids comme l’Antarctique.

Si le terme de désertification a souvent été repris comme désignant le processus d’expansion des déserts tels que le Sahara, Marc Bied-Charreton, agro-économiste, géographe et Professeur, le définit plus exactement comme « un processus qui conduit à la dégradation des terres et des ressources du milieu naturel, essentiellement dans les zones arides, semi-arides et subhumides ». Ce phénomène est aujourd’hui essentiellement observé en périphérie des déserts chauds.

Ce qui a été pointé du doigt depuis plusieurs décennies est le rôle de l’homme dans ce processus, et l’impact dévastateur de la désertification sur la population ainsi que sur l’écosystème. En effet, si des phénomènes de désertification peuvent apparaître sans que des activités humaines en soient responsables, ce n’est pas toujours le cas. Des mécanismes complexes mêlant périodes de sécheresse prolongées et systèmes d’exploitation controversés sont mis en cause. Le surpâturage, la surexploitation des ressources, la réduction des temps de repos des sols cultivés, les monocultures dites « modernes » ou d’autres pratiques agricoles non durables ont été à l’origine d’un appauvrissement considérable de sols à risques, comme le sud du Sahara ou du désert de Gobi (pour plus de précisions, voir les informations fournies par la F.A.O. – lien en fin d’article). Des chercheurs ont conclu lors d’une étude (Thomas, N. et Nigam, S. 2018) que le désert du Sahara s’est étendu de façon significative d’environ 10% – mesure prenant en compte les précipitations – au cours du XXème siècle.

Pourquoi la désertification pose-t-elle problème ?

Le problème est qu’environ deux milliards de personnes dans le monde vivent sur ou à proximité des zones désertiques ou en processus de désertification. Les premiers continents en danger sont l’Asie et l’Afrique ; deux personnes sur trois sont concernés par ce phénomène au sud de la méditerranée. Les inquiétudes se portent également sur la partie sud de l’Amérique du Nord, l’Australie et dans une certaine mesure les pays riverains du nord de la méditerranée. La communauté scientifique étudie de plus en plus l’impact de la dégradation du sol sur la pauvreté. Il a été montré dans une étude réalisée au niveau macroéconomique que la dégradation du sol avait un impact indirect sur la pauvreté, car elle réduit significativement l’impact positif d’une augmentation du revenu par habitant sur la diminution de la pauvreté (Barbier et Hochard, 2016). Certains craignent même un cercle vicieux, dans lequel davantage de pauvreté pousserait à exploiter davantage le sol pour survivre, et donc à une dégradation du sol plus importante (voir, par exemple, Reynolds, J.F. et. al 2007). La désertification est devenue une nouvelle cause de migration – ou au moins un facteur aggravant- pour certaines régions comme le nord de l’Afrique subsaharienne ou le Mexique (selon l’UNCCD).

Les perspectives pour les prochaines décennies sont assez alarmantes si l’on prend en compte la croissance de la population mondiale. La sécurité alimentaire pourrait être fortement compromise, car pour nourrir la population estimée de 2050, il nous faudrait augmenter fortement la production globale – d’au moins 70%, selon l’Economics of Land Degradation Initiative- ce qui est difficilement faisable avec des terres en moins sans endommager les terres disponibles. La transition économique et sociale des pays en voie de développement peut induire une augmentation de la demande d’eau, pour les industries ou pour le tourisme. L’approvisionnement en eau est déjà un problème, et constituera un enjeu majeur à grande échelle dans un futur très proche.

L’incapacité des terres dégradées à se ressourcer impacte bien évidemment la flore, mais également la faune qui ne peut plus se nourrir. En outre, ces phénomènes locaux ont un impact sur l’environnement global : par exemple, la mise en suspension des particules fines des sols peut atteindre les hautes couches de l’atmosphère et augmenter ainsi l’effet de serre. Les ressources globales en eau diminuent : certains grands lacs, comme le lac Tchad, rétrécissent. Le climat risque de devenir plus variable et violent, en particulier en Afrique (Bied-Charreton, M., 2017).

Des réactions ambitieuses … et réellement efficaces ?

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Face à ce phénomène, de nombreux acteurs publics et privés ont été à l’initiative de projets de plus ou moins grande ampleur. Des organisations internationales comme les Nations Unies ont initié des conventions – par exemple UNCCD, convention de lutte contre la désertification ; UNFCCC, convention cadre sur les changements climatiques ; UNCBD, convention sur la diversité biologique – afin de donner des directives et des objectifs aux Etats possédant des terres se désertifiant, mais aussi aux Etats proposant des aides publiques au développement. En termes d’actions étatiques, les grandes murailles vertes, initiées dans la seconde moitié du XXème siècle, sont des exemples notoires. En Afrique subsaharienne, 20 pays se sont alliés afin de créer une mosaïque de terres suivant les Sustainable Development Goals proposés par les Nations Unies ; cela se traduit – entre autres – par la plantation d’arbres le long de la frontière sud du Sahara. Dans la région de la Mongolie intérieure, au nord de la Chine, le gouvernement procède depuis 1978 à la plantation en masse d’arbres. En effet, les arbres, de par leur longévité et leur capacité à émettre de puissants systèmes racinaires, sont vus comme un rempart face à la menace. Cette solution ne fait pourtant pas l’unanimité, en particulier au sein de la communauté scientifique, qui dans sa majorité critique une solution utopiste qui pourrait avoir des effets contraires aux objectifs de revitalisation du sol. Jiang Gaoming, Professeur de géographie à l’université de Hawaii, critique la politique d’afforestation chinoise, en ce qu’elle provoque un épuisement des réseaux d’eau souterrains et ne règle donc pas le problème de la désertification. En cause, la monoculture – essentiellement des peupliers et des saules, la surplantation dans un territoire inadapté à une flore aussi importante, et une absence de suivi qui conduit à la mort d’une grande partie des arbres plantés quelques années seulement après leur mise en terre. Par ailleurs, le gouvernement chinois n’encourage pas ou trop peu une transition dans les modes de production agricole et d’élevage, et ne cherche pas ou trop peu à relocaliser les populations des zones concernées. Selon lui, la pose de clôtures ou l’herbification seraient des solutions plus efficaces.

Plusieurs chercheurs comme Marc Bied-Charreton encouragent à plus de lucidité afin de pallier les problématiques de développement, pour lesquelles beaucoup de solutions proposées ont échoué. Définir des objectifs chiffrés et contraignants, et construire des mécanismes de financement et de compensation spécifiques– ce que ne fait pas l’UNCCD par exemple – pousseraient les pays engagés sur le papier à faire de ces enjeux une priorité concrète. Il faut encourager davantage les investissements agricoles de long terme – difficilement faisables aujourd’hui par les agriculteurs locaux qui sont souvent soumis à une instabilité des prix – cohérents avec les nécessités de court terme. Plus de coopération entre les acteurs publics – comme les ministères – mais aussi entre les providents d’aide au développement permettrait de faire des avancées concrète sur le terrain, et non principalement théoriques.

Conclusion

Une chose est de se rendre compte du problème, une autre est de mettre en œuvre des moyens pour trouver des solutions efficaces. Si nous agissons trop tard, nous serons bientôt tous – et pas seulement les états locaux – directement ou indirectement atteints.

par Rose Mba Mebiame

 

References

Barber, E. B., Hochard, J.P., “Does Land Degradation Increase Poverty in Developing Countries?”, May 2016

Bied-Charreton, M., « Problématique de la Dégradation et de la Restauration des Terres ; les questions posées par la compensation », Comité Scientifique Français de la Désertification, décembre 2017

Economics of Land Degradation Initiative: Report for policy and decision makers, 2015

Gaoming, J., Stopping the sandstorms, China Dialogue, 13.04.2007

Reynolds, J.F. et. al, Global desertification : building a science for dryland development, Science, May 2007

Thomas, N., Nigam, S., Twentieth-Century Climate Change over Africa: Seasonal Hydroclimate Trends and Sahara Desert Expansion, Journal of Climate, May 2018, vol. 31

UNCCD, Migration and desertification, thematic fact sheet series No.3

http://www.fao.org/3/V0265F/v0265f01.htm

https://wad.jrc.ec.europa.eu/biodiversity

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